Biographie Racicot Malvina
Source : https://www.journaldequebec.com/2023/11/05/en-images-malvina-racicot-lepine-grande-dame-des-pompes-funebres-a-quebec
Voici l’histoire de Malvina Racicot-Lépine, grande dame
des pompes funèbres à Québec
RENDEZ-VOUS D'HISTOIRE DE QUÉBEC
À Québec et même au-delà de la région, le nom de Lépine est indubitablement associé au domaine funéraire. Fondée par un menuisier, Germain Legris dit Lépine, en 1845, cette entreprise a effectivement fait sa marque comme spécialiste des pompes funèbres, développant au fil du temps une gamme complète de services allant du transport des défunts jusqu’à la prise en charge des rituels. Ce qui est moins connu, c’est le fait que cette vénérable institution a été, pendant deux décennies, administrée par une femme! En effet, de 1917 à 1937, Malvina Racicot-Lépine a été la grande dame des services funéraires à Québec. Découvrons les faits saillants de son histoire et, à travers celle-ci, l’évolution d’une entreprise québécoise.
DE MONTRÉAL À QUÉBEC
Contrairement aux informations qu’on peut lire sur certains sites, notre principale intéressée n’est pas originaire de Québec. Née à Montréal le 1er mai 1851, Malvina Racicot est la fille de Laurent Augustin Racicot, marchand, et de Julie-Caroline Robillard. Elle a quatre frères et sœurs, dont Albert Gustave Racicot, qui deviendra plus tard commis marchand et, surtout, maire de la paroisse de Saint-Luc.
On ne sait dans quelles circonstances Malvina fait la connaissance de son futur époux, mais le 15 juin 1870, à l’église Saint-Roch de Québec, elle convole en justes noces avec Germain Lépine fils. Cette union marque son entrée non seulement dans la famille Lépine, mais aussi dans l’entreprise de pompes funèbres fondée par son beau-père, où son mari et son beau-frère s’impliquent également. Le commerce a pignon sur rue au 49, rue Saint-Vallier.
Si elle contribuait déjà aux affaires familiales en secondant son mari – et, info qui mérite d’être signalée, tout en élevant leurs seize enfants! –, c’est à partir du décès de Germain Lépine père, le 29 avril 1899, que Malvina Racicot commence à s’impliquer de plus en plus étroitement dans la bonne marche de l’entreprise. À la responsabilité du commerce de la rue Saint-Vallier s’ajoute la supervision des succursales ouvertes par son beau-frère Elzéar dans les quartiers Saint-Jean-Baptiste et Saint-Sauveur.
LE DOMAINE FUNÉRAIRE AU TOURNANT DU SIÈCLE
À cette époque, il y a déjà près de 25 ans que la famille Lépine s’est spécialisée dans la confection de cercueils, la fabrication d’objets funéraires et l’organisation des funérailles. L’arrière de la maison familiale sur Saint-Vallier abrite une petite manufacture employant une dizaine de personnes qui fabriquent des cercueils, des fleurs artificielles et diverses décorations funéraires. Si les membres de la famille résident à l’étage de l’édifice, le rez-de-chaussée est conçu spécialement pour recevoir les familles endeuillées. Ainsi, des tiroirs coulissants inclus dans les murs du salon permettent de montrer les cercueils disponibles: il suffit de tirer une petite poignée pour dévoiler les différents modèles, notamment ceux avec rembourrure de tissu, offerts depuis 1898. Après le départ des clients, les «tiroirs à cercueils» sont tout simplement refermés, permettant aux Lépine de profiter de leur salon comme toute famille normale!
La Maison Lépine est la première entreprise de pompes funèbres de Québec (et l’une des premières au Québec et même au Canada, d’ailleurs) à offrir des embaumements chimiques. C’est à l’un des fils de Germain et Malvina, Adélard Lépine, que l’on doit l’introduction de ces nouvelles techniques venues des États-Unis: le jeune homme est en effet allé faire sa formation au Champion College of Embalming de Springfield, en Ohio, dont il revient diplôme en poche en 1896. Son tout premier «client» n’est nul autre que l’archevêque Elzéar-Alexandre Taschereau... ce qui ne manque pas de piquant, considérant que l’embaumement était jusqu’alors une pratique proscrite par l’Église catholique!
Le transport des défunts est également l’un des services les plus appréciés et même, pourrait-on dire, celui qui a contribué à la renommée de la maison. Après tout, la famille Lépine possède de belles écuries abritant de robustes chevaux, parfaitement dignes de tirer les beaux corbillards ornementés du salon à l’église, puis de l’église au cimetière. Adélard fera d’ailleurs construire un superbe corbillard, massif et très ornementé. Créé par deux ouvriers du quartier Saint-Jean-Baptiste, ce véhicule hippomobile est destiné aux obsèques les plus prestigieuses.
À LA TÊTE D’UNE FAMILLE TISSÉE SERRÉE
Au cours des années 1890, l’un après l’autre, les sept fils de Germain Lépine et Malvina Racicot s’initient aux différents aspects des affaires. À la mort de Germain, en 1917, sa veuve prend la tête de la maison funéraire, secondée par ses garçons. Adélard, Henri-Jules et Gustave sont particulièrement proches de leur mère. Puisqu’elle s’habille exclusivement de vêtements noirs, on la surnomme la «reine Victoria», joli clin d’œil à la souveraine britannique qui, pendant des décennies, portera le deuil de son cher Albert et influencera durablement les mœurs vestimentaires funéraires de tout l’Occident!
Après avoir fait incorporer l’entreprise en 1921 sous le nom de Maison Germain Lépine Ltée, en s’attribuant le rôle de présidente du conseil d’administration, la «reine Victoria» de Québec veillera aux destinées de l’entreprise pendant 20 ans. Pendant les dures années de la crise économique, elle parvient à concilier développement des affaires et charité. Comment? Eh bien, si sa gestion financière lui permet d’économiser suffisamment pour réaliser d’importants travaux d’agrandissement – les locaux de la rue Saint-Vallier en ont bien besoin –, elle démontre aussi son grand cœur en procédant gratuitement à l’enterrement des défunts les plus pauvres.
Pendant toute sa vie, Malvina Racicot demeurera très impliquée dans la vie associative de Québec, contribuant directement à plusieurs œuvres de bienfaisance, notamment dans la paroisse Saint-Roch, afin de porter secours aux miséreux. Ces valeurs humaines et d’affaires se transmettront d’ailleurs aux générations suivantes. Elles expliquent aussi le soutien que la communauté apportera aux Lépine en 1935, lorsqu’un incendie endommagera considérablement les installations. Qu’à cela ne tienne: Malvina en profite pour faire rénover les écuries, ce qui force l’admiration des gens de Québec!
AUX PREMIÈRES LOGES
Du temps de Malvina Racicot, les services funéraires offerts par la Maison Lépine exercent un rôle déterminant lors de plusieurs catastrophes. «L’éboulis du Cap-Blanc», soit le détachement et l’éboulement d’une partie du cap aux Diamants sur la rue du Petit-Champlain le 19 septembre 1889, fait non seulement des blessés, mais aussi près de cinquante victimes, incluant plusieurs enfants. Les corps sont alors confiés aux bons soins de l’entreprise.
À plus grande échelle, le naufrage du paquebot océanique Empress of Ireland au large de la Pointe-au-Père, près de Rimouski, le 29 mai 1914, s’avère épouvantable: plus de 1000 personnes y perdent la vie. Plusieurs maisons de pompes funèbres sont alors mises à contribution, sous la direction de Lépine, afin de rendre les derniers soins à quelques centaines de ces malheureux.
Enfin, citons l’épidémie de grippe espagnole de 1918, qui génère un flux important de décès tout au long de l’automne. Il faut rappeler que le nombre de morts est si élevé que, sur l’ordre de l’archevêque, on cesse de sonner les cloches des églises afin d’épargner le moral de la population!
UNE POIGNE DE FER DANS UN GANT DE DENTELLE NOIRE
On pourrait croire que dans un domaine tel que les services funéraires, la continuité et la tradition sont prépondérantes. Certes, mais il faut aussi savoir être de son temps et savoir se montrer créatif lorsque les circonstances le requièrent. Parmi les quelques innovations qui marquent l’administration personnelle de Malvina Racicot, mentionnons l’idée de créer un service ambulancier... en utilisant les corbillards (lorsqu’ils ne sont pas en fonction) en guise de véhicules d’urgence.
Toujours dans le domaine du transport, c’est aussi sous la houlette de la veuve Lépine que l’entreprise procède à l’achat du premier corbillard automobile en 1929. De marque Lincoln, ce véhicule sera le premier d’une petite flotte qui remplacera éventuellement totalement les voitures hippomobiles, bien que les corbillards tirés par des chevaux soient encore utilisés lors de cérémonies particulièrement solennelles.
Décorum, tradition, innovation... Il n’est donc aucunement surprenant que la Maison Lépine ait eu la responsabilité des funérailles d’un grand nombre de personnalités municipales, politiques et religieuses de la ville de Québec!
LE LEGS DES LÉPINE
Outre son surnom et aussi son abondante progéniture, Malvina Racicot a un autre point commun avec la souveraine de l’Empire britannique : son exceptionnelle longévité. Après une courte maladie, la «reine Victoria de Québec» meurt à Québec le 1er juin 1937. Elle avait 85 ans. À la suite de son décès, c’est au tour de la troisième génération de prendre la direction de l’entreprise qui, comme on le sait, traversera le 20e siècle en maintenant les standards et les valeurs ayant fait sa réputation, jusqu’à sa fusion avec l’entreprise d’Arthur Cloutier en 1975 pour former la Maison Lépine Cloutier. Mais ça, c’est une autre histoire!
Si le bel escalier créé par l’architecte Charles Baillairgé, de même que le carré Lépine rappellent la mémoire de cette famille, il n’existe malheureusement à ce jour aucune plaque commémorative, rue ou place publique soulignant l’importance de Malvina Racicot dans l’histoire de Québec. À bon entendeur...
Un texte préparé par Catherine Ferland, historienne, pour les Rendez-vous d’histoire de Québec. Pour en savoir plus sur la famille Lépine, découvrez les livres de l’ethnologue Brigitte Garneau parus aux Éditions GID.
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